McKinsey: le meilleur ou le pire des influenceurs(suite)?

 J’ai été comme beaucoup d’alumni Français  de McKinsey perturbé par la campagne orchestrée autour des conclusions de la commission sénatoriale sur l’usage des consultants par l’administration Macron. Je n’ai pas été rassuré par la lecture de « McKinsey pour le meilleur et pour le pire », la traduction * d’un ouvrage publié par deux journalistes du New York Times « When McKinsey comes to Town », et j'en ai publié fin 2023 un compte rendu que vous retrouverez à la fin de cet article.

J'espérais que l'enquête menée par l'équipe d'Elise Lucet pour préparer son 'Cash Investigation" sur McKinsey et le débat organisé autour des résultats permettraient aux téléspectateurs Français de mieux comprendre ce qu'un gouvernement ou un dirigeant d'organisme public peut attendre de McKinsey et quelles sont les causes de réussite ou d'échec de telles intervention. 

Il n'en a rien été et nous avons dû nous contenter d'un show télévisuel complotiste à coup d'entretiens masqués ou tronqués obtenus avec des méthodes de paparazzi et complétés par une critique superficielle de trois rapports arrachés aux oubliettes.  Je ne doute pas que le manque de professionnalisme de Madame Lucet soit la cause principale de cet échec, mais je regrette que McKinsey n'ait pas "pris le taureau par les cornes" en acceptant de participer à l'enquête après avoir négocié les conditions de réalisation de l'interview, plutôt que d'avoir à gérer un entretien improvisé.

Je crains que ce ne soit un des effets pervers de la bureaucratisation du partnership professionnel que j'ai connu depuis que la "Firme" s'est transformée en multinationale du conseil. Le culte de la confidentialité faisait certes partie de notre culture, au même titre que la primauté du client et la méritocratie; mais le droit (et le devoir) d'exprimer ses désaccords en faisait tout autant partie.

Ce fut une opportunité manquée d'initier un débat beaucoup plus intéressant sur l'incapacité de nos gouvernements successifs à améliorer le "retour sur investissement" des dépenses publiques malgré l'inflation des dépenses publiques de conseil.


Pour Mémoire, mes commentaires sur le livre "McKinsey pour le meilleur et pour le pire"

Sur la forme, j’ai trouvé le style anecdotique et journalistique plutôt ennuyeux. J’ai regretté que les auteurs n’aient jamais recherché d’exemples de « McKinsey pour le meilleur » et que la préface de Pierre-Henry de Menthon se contente d’apporter quelques compléments sur le cas Français  par rapport au réquisitoire anglo-saxon de Walt Bogdanich et de Michael Forsythe.

J’ai fait quelques découvertes, comme le développement  dans les années 2000 d’une activité (Practice) dédiée à la rémunération des dirigeants- les auteurs l’accusent d’avoir contribué , en combinaison avec les missions de réduction de coût que j’ai bien connues, à l’explosion des inégalités.

La Firme est accusée de s’être financiarisee et de ne pas avoir eu de scrupules face aux situations de conflit d’intérêt ( par exemple en travaillant aussi bien pour la FDA que pour les gros laboratoires pharmaceutiques) , en s’abritant  derrière la rigueur ( non vérifiable) de ses processus d’affectation des ressources et de partage des informations.

Elle est aussi accusée de ne pas avoir été regardante dans le choix de ses clients et de ses missions ( par exemple en accompagnant les dirigeants d’Enron, en aidant des fabricants d’opioides  a stimuler la prescription d’antidouleurs addictifs qui auraient mené au décès de 700.000 toxicomanes , ou en travaillant avec les fabricants de tabac pour encourager les substituts nicotiniques, avec les assureurs pour décourager les victimes de sinistres coûteux,  et avec l’administration Trump pour accélérer l’expulsion des immigrants)

Les principaux exemples d’impact négatif sont Américains, mais le mode de développement des activités par infiltration de la gouvernance publique en Chine, en Afrique du Sud, en Arabie Saoudite, voire au Royaume Uni, est aussi largement épinglé.
L’impact de McKinsey en Europe continentale ou au Maghreb est en revanche complètement ignoré.




Je retiens que l’interprétation de valeurs comme la primauté au client (« client first ») ou le culte du secret n’est plus la même dans une multinationale qui emploie plus de 50.000 professionnels et qui réalise 10 milliards de  $ de chiffre d’affaires que dans le cabinet élitiste et artisanal que j’ai connu dans les années 70-80.

Je note que le principe de l’ascenseur méritocratique « up or out »  continue à attirer les candidats et que la liberté d’expression (« obligation to dissent ») est restée d’actualité puisque de nombreux consultants et associés de tous niveaux n’ont pas hésité à se rebeller contre les dérives qu’ils constataient.

La grande question que pose ce livre, c’est celle de la responsabilité sociale des consultants.Les consultants en management sont des prestataires de service qui ne peuvent pas toujours se permettre le luxe de refuser les missions qu’ils ont l’opportunité de facturer. Dois-je me reprocher d’avoir accompagné la fermeture de sites sidérurgiques ou d’agences bancaires, en apportant une touche d’humanisme au processus?
Les consultants qui réussissent sont des influenceurs qui savent faire connaître leurs idées et leurs solutions aux décideurs potentiels pour développer leurs activités.
Peut-on accuser Lowell Bryan , l’un de mes Partners que j’ai le plus côtoyé et apprécié, d’avoir déclenché la crise des subprimes et ses effets dévastateurs sur l’economie mondiale en se faisant l’apôtre de la titrisation des crédits ? Aurait-il du anticiper l’irresponsabilité sociale de certains banquiers et investisseurs ?
Un sujet de méditation pour tous ceux qui se sentent concernés par l’impact social des entreprises.

*traduction de Carla Lavaste publiée chez Buchet.Chastel




1 commentaire:

  1. Bonsoir Philippe,
    Le journalisme d'investigation n'est, par définition, pas objectif...et nous aurons en France prochainement un reportage sur France Télévision de la série : "cash investigation"
    Ce qui est dommage est que la Firme n'apporte pas de clarifications ou réactions du type, :évidemment , dans un cabinet mondial de 50000 consultants, même avec des règles de professionialisme rigoureux, on peut discuter le travail pour certains clients et sur certains sujets...En reconnaissance de quoi, nous avons mis en place un comité éthique par continent, qui se saisira désormais des projets pouvant conduire à débat...et nous avons réitéré le message auprès de nos consultants qu'ils sont libres de refuser certaines missions avec lesquelles ils ont du mal à s'identifier et ceci sans aucune influence sur leur carrière professionnelle ... amitiés Axel

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